Une photo, une émotion

Je ne sais pas vous, mais en ce qui me concerne lorsque je photographie j'essaie toujours de mettre en valeur le sujet et pas ma photo et encore moins moi.

L'important ce n'est pas la photographie (en tant qu'activité) et encore moins le photographe mais juste le sujet, l'environnement dans lequel il se trouve et l'action qui s'y déroule.

A mes débuts en photographie je n'avais conscience que de ça. Mon objectif unique était de mettre en valeur le sujet.

C'est toujours le cas aujourd'hui mais avec le temps, je m'aperçois que dans chaque photo, il y a un peu de moi. Oui oui, même dans les photos de sport que je fais il y a un peu de moi je vous assure et je vais vous dire pourquoi.

Cela commence déjà par le choix de l'endroit de la prise de vue.

Nous "shootons" dans un endroit que nous choisissons. Un choix spécial pour la session de prises de vues ou un endroit où nous avons "nos habitudes". Quelque soit le choix de l'endroit, de l'heure, de la discipline ou d'autres choix qui se retrouveront sur la photo.

Ensuite il y a le moment de la prise de vue.

Le moment de la prise de vue est crucial dans la photographie de sport. Il s'agit de saisir l'action au moment où l'intensité est la plus forte, au moment où l'émotion se lit clairement sur le visage du sportif...

La mise en scène si elle est possible est aussi un élément de choix réalisé par la photographe.

Vous avez tous vu les mises en scène présentant des sportifs dans un environnement plein de fumée avec des projecteurs de couleur pour les mettre en valeur.

Ensuite, le choix du réglage de l'appareil photo a une influence directe sur le message et/ou le sentiment au travers des photos. Par exemple la vitesse d'obturation peut être plus ou moins lente ou rapide. La manière dont la vitesse sera représentée sur la photographie sera complètement différente selon le choix du photographe. Au même titre que pour l'exemple de la vitesse chaque réglage influera sur le rendu et donc sur l'émotion qui se dégagera de la photo.

Le post-traitement aussi permet de faire émerger une émotion d'un photo.

Le traitement des couleurs, le cadrage... en fait la composition et le traitement colorimétrique d'une photo sont des outils au service du photographe pour faire passer l'émotion qu'il ressens.

Avec le temps je me suis aperçu que les émotions pouvaient appartenir à des temps différents.

Pour me faire mieux comprendre alors je vais développer mon propos.

On pourrait croire que l'émotion que procure une photo est celle que le photographe a ressenti au moment de la prise de vue.

C'est vrai, l'émotion du photo  à la prise de vue est présente comme développer dans le paragraphe précédent.

Toutefois ce n'est pas seulement cette émotion de l'instant comme je pourrait la qualifier qui est "améliorée" par le post-traitement. L'état émotionnel du photographe à l'instant du post-traitement joue aussi un rôle important.

Je me suis aperçu que l'émotion à la prise de vue pouvait même être différente de celle qui ressort de la photo finale tellement le post-traitement a pris de l'importance.

Lors de ma séparation j'avais été invité pour réaliser des photos au profit d'une compétition de kitesurf. C'est à partir de ce moment de ma vie que la photographie est devenu une sorte de thérapie face à se traumatisme.

Je vous laisse imaginer l'état dans lequel j'étais... j'étais à la dérive, en enfer pour ne pas dire absent mais je me suis forcé à penser à autre chose. Chaque photo était une redécouverte de la vie, la vie des autres mais la vie quand même. Pour réaliser les photos, je m'étais placé en tant que témoin de la vie des sportifs sur ce moment très particulier que peut être une compétition.

Autant vous dire que je me concentrait sur l'effort, le geste... il fallait que l'intensité passe au travers de mes images. C'était mon état émotionnel du moment. Je me concentrait sur ce que je connaissais : l'intensité liée à une activité sportive.

Un peu plus tard je me suis retrouvé à traiter les photo pour les livrer.

J'étais seul dans la maison où je vivais avec ma famille quelques temps auparavant mais la maison était vide et ma famille partie. Autant vous dire que le moral était plutôt dans les chaussettes voire en dessous des chaussettes.

J'ai donc traité les photos une à une. J'ai essayer de retransmettre ce que j'avais ressenti lors de la prise de vue du mieux que je pouvais. Les photos en gros plan je me concentrais sur le rider, la manœuvre ou d'autres détails. la photo avait un rendu que je qualifierais aujourd'hui de "commun"/"banal".

Mais il y a une photo que je ne peux diffuser ici qui avec le temps a révéler autre chose. Mon état émotionnel à l'instant du post-traitement.

Cette photo représente une manœuvre d'un rider située dans un cadre (le paysage). Dans ce cadre, outre le rider et les voiles on y voit deux éléments que je n'avais pas remarqué lors de la prise de vue. On y voit la ville que j'habitais avant et au fond la ville vers laquelle j'avais décidé d'aller pour continuer ma vie. Je ne souhaitais pas rester la ville qui avait été le lieu de mon divorce.

Et bien inconsciemment j'ai traité la photographie comme cela :

- la ville que je quittais était sombre, presque noire,

- la ville qui allait m'accueillir était plus claire et même la zone où j'allais vivre était en pleine lumière.

Cette photo, je l'ai faite imprimer et elle est accrochée à l'un de mes murs. Elle est la mémoire de ma douleur, de mon désespoir de l'époque et ce mal passe uniquement par le traitement que j'avais effectué à l'époque.

Je suis certain que si je devais retraiter aujourd'hui cette photo elle ne serait pas comme cela.

Voilà pourquoi je dis que l'émotion au moment du post-traitement est inscrite dans chaque photo. La lassitude parce qu'on en est à 300ème photo traitée et qu'il est près de minuit, l'énervement suite à une journée difficile au travail... toutes les émotions passent dans ce qu'on fait.

Vous allez me dire que je débloque, que je suis un illuminé.

Peut-être aurez vous raison. Je ne suis pas comme tout le monde et en tous cas je ne souhaite pas l'être. Je souhaite cultiver ma singularité, ne pas être dans la norme mais être moi-même.

La photographie me permet de m'exprimer, d'exprimer ce que je ressens, de témoigner d'événements et de la manière dont le les perçois tout en mettant en valeur un sujet.

Oui le but est de mettre en lumière un sujet mais une chose est certaine c''est que cela passe par le photographe, sa vision, son émotion... c'est lui qui fait des choix dits "artistiques".

Alors oui je souhaite être unique, particulier, singulier mais avant tout je souhaite être moi et dire comment je me sens, comment je perçois notre monde.

Pour moi la photographie a été et est une thérapie face aux agressions de notre monde, une sorte de rébellion face au conformisme ambiant, un langage que peu comprendront mais qui a une forme de réalité pour moi et c'est ce qui compte à mes yeux.

Toujours rendre hommage à mes sujets, les mettre en valeur mais aussi m'exprimer, dire des choses au travers de mes photos.

Peut-être suis-je original ?

Peut-être pas. Peut-être que tout simplement je suis honnête avec moi-même ?